Pendant toutes ces années, j’ai eu peur de me confier au sujet de mon introversion et ma sensibilité. Aujourd’hui, c’est terminé : toutes ces choses qui me constituent, je les accepte enfin.
Il y a tant d’émotions et de sentiments qui ont intensément traversé ma vie. Peu importe d’où ils venaient, c’était toujours très fort. Les rares fois où je les ai évoqués, les réactions n’ont pas été très positives.
Alors j’ai préféré garder le reste dans un coin de ma tête. Pourquoi ? La peur d’être jugée. La peur d’en faire trop. De déranger. Ça vous parle peut-être. J’en suis sûre, en fait. Qui ne s’est pas un jour caché derrière un sourire et un « ça va, merci » ?
Dans notre société, rien ni personne ne nous sollicite à évoquer l’état de notre santé mentale. Les rares fois où l’on prend notre courage à deux mains pour nous ouvrir, les réactions sont toujours les mêmes.
D’abord, nos interlocuteur.ice.s sont gêné.e.s. Tu vas mal ? Qu’est-ce que ça peut faire ? En quoi ça me regarde ? Et puis on s’éloigne de vous. On ne vous invite plus. Pire, parfois : on vous juge. C’est terrifiant. Alors on se surprend à se persuader que finalement, rien n’est grave. Tout va bien.
Ces sentiments ne valent rien, ils sont le fruit de mon imagination, ces frustrations ne sont que le résultat que mon inaction, ces émotions ne sont liées qu’à de ma susceptibilité…
On nous conditionne à intérioriser en toutes circonstances. J’ai beau essayer, j’y arrive à moitié. Du coup, j’ai gardé tous ces monstres intérieurs au placard pendant des années.
L’heure est de les sortir.
1. Ne pas être cette personne que tout le monde aime.
Il y a cette expression que l’on sort un peu à tort et à travers depuis toujours. On ne peut pas plaire à tout le monde. C’est sans doute vrai. Mais j’ai longtemps pensé qu’elle ne s’appliquait pas pour tout le monde. Que certain.e.s réussissaient comme par magie à passer au travers des mailles du filet.
Vous les connaissez, ces personnes. Elles sortent beaucoup, elles sourient sur commande, elles savent jouer le jeu des convenances, elles portent leur masque social à la perfection, elles sont sans cesse entourées et adulées par des foules de personnes qui hélas font partie de votre quotidien également.
Je me suis longtemps sentie très diminuée et frustrée en face de ces personnes-là. Pourquoi ne pouvais-je pas moi aussi jouer la comédie, être aimée, sollicitée de partout ? Je ressentais beaucoup d’envie, parfois de la colère, parce qu’on réalise bien vite que ces personnes ne sont pas réellement comme ça lorsqu’elles adoptent exactement le même comportement avec tout le monde.
Suivant ce modèle, j’ai moi-même tenté d’être cette personne. Mais ce sentiment d’être étrangère à soi-même est pire que tout. Alors j’ai continué à ne pas faire tout à fait l’unanimité, à être cette personne qu’on apprécie plus ou moins, ou pas tellement, ou pas d’avis ou pas la force d’en dire quoi que ce soit. Être cette personne qui provoque en nous de l’indifférence.
> Le truc qui a changé ? J’ai réalisé à quel point ça n’avait aucun sens de vouloir être ce que l’on attendait de moi : je me suis séparée des groupes.
En fait, je crois que l’essentiel, c’est de ne jamais être étranger.e à soi-même. Tant pis si je ne fais pas l’unanimité, l’important, c’est de se reconnaître. J’ai beaucoup de respect pour les personnes qui réussissent à jouer le jeu, mais moi, j’en suis incapable : je risquerais de me perdre à tout jamais.
Et puis… je ne veux plus jamais vivre aux côtés de cette foule de personnes du quotidien autour de moi. Loin d’elles, je me sens revivre chaque jour un peu plus, parce qu’aujourd’hui, je peux être qui je veux et c’est un vrai pouvoir.
Évidemment, j’ai encore beaucoup de travail sur moi-même à réaliser pour totalement me détacher de tout ça, mais le fait d’avoir déménagé et construit un nouveau cadre de vie est un gros pas en avant.
2. Ne pas avoir tout à fait les mêmes centres d’intérêt que les autres.
Je suis culturellement un ovni. J’ai tendance à beaucoup apprécier les artistes qui dégagent une singularité manifeste et une audace, qui ont l’habitude de déranger et de dérouter n’importe qui. En fait, j’adore la prise de risques dans l’art, les concepts. Et ça a toujours été plus ou moins le cas.
Je n’ai jamais eu beaucoup d’attirance pour la plupart des tendances directes, les trucs qu’on voit un peu partout pendant quelques mois avant de disparaître et qu’il faut aimer sur le moment pour s’intégrer au moins un peu. Et comme je n’ai pas les mêmes centres d’intérêts que les autres, ça a parfois pu être un handicap, en particulier à l’école.
Quand je parle de centres d’intérêts différents, je pense surtout à la musique, qui a cette propension à rassembler les gens. Comment dire que l’on voue un culte à Björk et à Sigur Ros et que l’on écoute religieusement tous les albums de Radiohead une fois dans sa chambre à 15 ans ? Aujourd’hui, se démarquer est devenu un atout, mais à l’époque, c’était le signe que tu étais une personne un peu bizarre, quand même.
> Le truc qui a changé ? L’entourage. On aime les personnes qui nous ressemblent. Et on aime les personnes qui ne vont pas nous juger parce qu’on ne partage pas les mêmes centres d’intérêt qu’elles.
Ça semble assez logique, dit comme ça, mais je vous assure que tout le monde ne s’entoure pas QUE de personnes bienveillantes. Et je pense qu’être soi, c’est aussi avoir la liberté de revendiquer ses goûts, ses passions, sans avoir la peur de recevoir un quelconque jugement.
3. Ne pas avoir beaucoup d’ami.e.s globalement.
Je n’ai jamais été la reine d’un McDo à 6 ans. Je n’ai jamais voulu organiser de soirées d’anniversaire parce que je déteste le fêter et parce que ça me met toujours mal à l’aise. Je ne sais pas vraiment sociabiliser et j’ai toujours du mal à faire basculer une relation au niveau supérieur : l’amitié. La vraie.
N’en parlez pas à cette version de moi qui a 16 ans. Je passais des étés entiers cloîtrée dans ma chambre avec ce sentiment de honte qui m’habitait parce que le commun des mortels avait un jour déclaré qu’à 16 ans, il fallait impérativement sortir s’amuser et profiter de sa jeune existence.
Non, je ne profitais pas (toujours selon le sacrosaint commun des mortels). Le truc, au fond, c’est que je prenais beaucoup de plaisir à être seule. J’adorais ça. Les veillées tardives, la nuit très noire et ce silence autour de moi. Mon pc portable premier prix prêt à rendre l’âme sur mes genoux, ma musique et tout l’amour que je lui portais. Mes livres entassés par terre, dont certains étaient à moitié sous le lit et prenaient la poussière, mon journal et ses pages déchirées ou raturées parce que je n’assumais jamais les relectures.
C’était ça pour moi, le bonheur. La paix infinie, le silence et souvent la musique. Pour rien au monde je n’aurais échangé tous ces moments passés seule avec ces premières soirées. Je les connais, parce que je les ai vécues, ces soirées. Quelques-unes. Mais elles me fatiguaient déjà tellement… Et je ne me reconnaissais qu’en rentrant, une fois seule. J’avais si honte de ne pas m’être amusée.
Alors je me demandais ce qui n’allait pas chez moi. Pourquoi je n’aime pas les sorties ? Pourquoi je préfère être seule ? Pourquoi je suis aussi bizarre ?
> Le truc qui a changé ? Le processus a été long, j’ai arrêté de culpabiliser très récemment. C’est quand j’ai compris ce que c’était d’être introverti.e.
En passant du temps sur Reddit, sur Introvert, Dear, en lisant bon nombre de livres sur le thème, j’ai compris que je n’étais pas seule, que nous étions en réalité très nombreux.se.s à aimer la solitude, que nous n’avions généralement pas beaucoup d’ami.e.s et que finalement, c’était pas plus mal comme ça. Je ne ressens pas le besoin d’être entourée d’autant de monde, je préfère me consacrer à celleux qui comptent vraiment pour moi.
4. Traînasser chez moi en pyjama tout le week-end.
Les pyjamas et moi, c’est une histoire d’amour vieille comme le monde. J’ai toujours adoré être dans des pantalons où je nage presque, les pieds dans des chaussons en pilou pilou, boire des chocolats chauds et ne rien faire à part lire, écrire à m’en faire mal aux yeux, rêvasser sur de la musique, commencer et finir une série d’une traite et manger des pizzas.
Sauf que le lundi, un.e collègue va fatalement me poser la question… La fameuse question. “Alors t’as fait quoi de ton week-end ? Quoi, t’as RIEN FAIT ?!” Ben non, Benoît, j’ai rien fait. C’est incroyable, je sais, de ne rien faire, mais je l’ai fait. Le couperet est tombé, j’aurais dû sortir depuis vendredi et aller faire de la rando à Courchevel pour finir par faire de l’accrobranche tout le dimanche.
Non, je suis juste en pyjama et je lis des livres. On peut dire que je bouge autrement. Dans mon imaginaire, quoi.
> Le truc qui a changé ? Quand j’ai compris qu’un week-end réussi, c’était aussi un week-end où on décompressait et que je n’avais pas à me justifier.
Bref, je continue à passer mes samedis soirs à lire en pyjama dans mon lit et à manger de la pizza. Si quelqu’un me fait une remarque qui associerait mon genre féminin à mon aptitude étrange à engloutir une pizza à moi toute seule, je l’assomme avec un bouquin de Gloria Steinem.
5. Être gênée dans des situations sociales qui me demandent beaucoup d’énergie.
J’essaye, j’y arrive pas. J’essaye. J’ESSAYE ! Encore et encore ! C’est terrible.
Quand je me retrouve en plein coeur d’un évènement qui implique beaucoup de monde, mon coeur bat très fort. Je suis dans le contrôle de ce que je vais bien pouvoir dire.
J’anticipe un moment de gêne en permanence et du coup, j’ai l’air complètement statique à force de me tenir comme un gros poteau. J’ai aussi l’air d’être absente, je le sais. Je comprends que ça ne donne pas vraiment envie de venir me parler, mais parfois j’aimerais bien qu’on me tende un peu la main parce que j’ai peur. Ça n’arrive pas souvent parce que je le cache assez bien aujourd’hui.
Oui, je sais bien, il s’agit d’anxiété sociale. Tous.te.s les introverti.e.s ne la subissent pas. Moi, en l’occurrence, j’ai chopé le ticket gagnant et c’est compliqué à vivre la plupart du temps. Les situations les plus minimes me demandent une concentration maximale. C’est épuisant.
> Le truc qui a changé ? Maintenant, j’en parle. Ou je valorise les événements en petit comité. Je suis sociable différemment. J’aime sortir, découvrir de nouveaux horizons. Ce n’est pas pour rien si je fais des économies monstrueuses pour partir à l’autre bout du monde.
Est-ce que je fuis ? Peut-être. Est-ce que c’est bien, est-ce que c’est mal ? J’en sais rien. Mais les grosses soirées sont pour moi des sources d’angoisses infinies qui ont un impact sur mon état mental (le sentiment d’échec, l’envie de taper ma tête contre un mur en rentrant) et physique (mon coeur qui s’emballe, des difficultés pour respirer, la fatigue), je ne sais pas les gérer. Alors la plupart du temps, je décline, j’invente des histoires ou je dis la vérité selon mon humeur. Ça dépend si j’ai envie de m’expliquer ou pas, et les personnes qui prennent tout personnellement me fatiguent souvent. Et quand je suis fatiguée, j’opte pour la solution de facilité. Le mytho de l’introverti.e, c’est un peu la pizza surgelée des interactions sociales : on a la flemme de cuisiner ? Pas grave, on allume le four. On a la flemme de s’expliquer ? Ben c’est parti pour le mytho de l’année.
6. Mon hypersensibilité.
Je suis hypersensible. Ce qui signifie que la moindre remarque, le moindre acte, le moindre geste de votre part sera suranalysé et pourra potentiellement être très mal interprété dans mon esprit. Au point de me mettre dans des états de détresse, de honte et de panique. Sans parler de ma sensibilité au bruit, assez impressionnante.
Je vous rassure, il y a aussi PLEIN de points positifs à l’hypersensibilité, mais là je vous parle des choses que je n’assumais pas jusqu’à présent.
À une époque, que l’on me qualifie de personne sensible était pour moi une insulte. Ça voulait dire que j’étais faible. Parfois, quand vous êtes sensible, on se moque de vous, on s’amuse à en rajouter une couche. Peut-être que vous l’avez déjà vécu.
Et puis, il y a aussi les critiques. Constructives, gratuites, maladroites. Les gens ne vous brossent pas toujours dans le sens du poil, c’est la vie. Il faut parfois comprendre ses erreurs, d’autres fois, il y a beaucoup de gratuité dans les propos entendus.
On doit vivre avec. Dans la société, on nous fait savoir depuis toujours qu’il faut rester fort.e et “être au-dessus de tout ça”. Vous êtes au-dessus de ça, vous ? La chance.
> Le truc qui a changé ? Il y a de l’amélioration, mais j’ai encore beaucoup de mal à prendre du recul sur les critiques, par exemple. J’essaie de voir les points positifs.
Je ne suis pas faible. L’hypersensibilité est une très grande force et un atout créatif énorme, notamment pour l’observation et l’analyse des choses. Toutes les émotions, on les multiplie par 50, et quand il s’agit d’émotions positives, c’est incroyablement magnifique. On reste sur le positif !
7. Ma maladresse.
Comme je vous l’ai dit précédemment, pendant les situations sociales, je ne sais pas trop où me mettre la plupart du temps. Et à force de calculer la gaffe… elle arrive. Elle se pointe à la soirée, elle fait rire tout le monde, sauf vous.
La maladresse, elle se trouve le plus souvent dans les mots, mais aussi dans les actes. Je me rappelle la fois où j’ai crié “SALUT” en rentrant dans la salle d’attente d’un médecin parce que j’étais en train de stresser. Ou fois à l’école où mon crush de l’époque avait dit un truc à son pote et que je m’étais retournée en disant “quoi”, parce que je pensais qu’il avait dit mon prénom. Et toutes ces fois où je répondais littéralement n’importe quoi à des inconnu.e.s dans la rue, prise de court. J’en étais malade pendant des semaines.
> Le truc qui a changé ? Je ne peux pas lutter. C’est comme ça. Ça fait partie de ma personnalité de faire des gaffes tout le temps.
Il y en aura d’autres des moments comme ça. J’ai le don pour la maladresse, et certain.e.s trouve ça plus drôle que ridicule. Je m’en tiens à ça, alors.
8. Ma réserve interprétée comme de la timidité.
C’est l’histoire d’une frustration qui dure depuis presque toujours.
Je souffre parfois d’anxiété sociale dans certaines situations qui me sont imposées, c’est vrai, mais je n’ai pas le sentiment que cela fait de moi une personne timide et complètement tétanisée par l’action de parler pour autant.
Épinglée timide sur tous les bulletins scolaires, épinglée mystérieuse et froide dans les yeux des gens qui me voient pour la première fois, je suis souvent assez agacée d’entendre tout ça, parce que je ne m’identifie pas du tout à ce profil.
Je n’ai pas l’impression d’être un bloc de glace et d’être une tour imprenable, alors quand on me renvoyait ces remarques en pleine face, j’ai longtemps eu tendance à sentir les nerfs monter et à me sentir touchée personnellement.
La vérité, c’est que je réfléchis et que j’observe beaucoup avant d’intervenir. Il y a donc des moments où je ne parle pas beaucoup, surtout quand je me sens mal à l’aise à cause de triggers comme le bruit et les personnes impolies ou bien indiscrètes.
Ce que les autres ne savent pas, c’est que je peux être très bavarde et faire des blagues toute la soirée dans des conditions ou face à des personnes qui me mettent en confiance. Tout le monde ne sait pas me tendre cette fameuse corde qui nous pousserait à nous lier autrement qu’en échangeant des banalités, et me demander d’échanger des banalités avec vous, c’est vraiment au-dessus de mes forces.
> Le truc qui a changé ? Je vous le dis, tout simplement : non je ne suis pas timide, je ne suis pas froide, je ne suis pas non plus Cruella ou Morticia Addams.
J’essaye de sensibiliser les gens en leur disant que ce qu’iels voient en face d’eux n’est pas toujours cohérent avec la réalité. Apprenez vraiment à prendre ce recul, c’est très important.