Si comme moi, vous ne pouvez pas vous passer de musique, le Disquaire Day qui devait se tenir ce 18 avril devait être un jour à marquer d’une pierre blanche. Pour l’occasion, petit tour d’horizon de mes disques préférés en tant d’introvertie.
Le Record Store Day est une journée annuelle où les disquaires indépendant.e.s font de la promotion autours de leurs boutiques et vous incitent à venir les voir pour les soutenir. En France, l’association CALIF (Club d’Action des Labels Indépendants Français) transpose l’événement en France, sous le nom du Disquaire Day.
À la base, le Disquaire Day était l’occasion rêvée de rendre visite aux disquaires du coin et de faire aussi l’acquisition d’une perle parmi les vinyles, CD’s et autres goodies disponibles (les t-shirts !). Ça ne va pas pouvoir se faire tout de suite pour des raisons évidentes, mais j’attends la fin du confinement pour faire quelques emplettes ici et à l’autre bout du monde (à Tokyo par exemple et au hasard, puisque mon voyage a été reporté).
Mais tout ceci ne m’empêche pas de faire un article sur les 18 disques qui m’ont fait du bien et qui ont significativement changé et parfois sauvé ma vie ces dernières années.
Si vous me lisez un peu, vous devez sans doute savoir que j’ai un rapport très privilégié avec la musique. Cette affection que je ressens pour elle vient sans doute de ma sensibilité débordante, mais c’est aussi à ma curiosité que je dois tout cet intérêt pour l’écoute. La musique est une expérience que je préfère vivre en solitaire : c’est à mon sens l’activité la plus intime qui soit, qui vous pousse à l’introspection, qui vous incite à imaginer quel serait le monde aujourd’hui ou demain avec des si. Mais tout cela reste encore beaucoup trop réducteur. J’ai du mal à trouver des mots assez justes pour définir ce que je ressens quand elle est à mes côtés et cela fait des mois que je me tue à écrire à son sujet, sans jamais être satisfaite du résultat, parce que cela représente un dixième de ce que je voudrais exprimer. Son impact sur ma vie est significative : j’aimerais pouvoir les trouver, tous ces mots, mais ils ne viennent pas.
Alors je vais me contenter de vous parler d’albums. D’expériences particulières.
Les disques que je m’apprête à vous présenter ici me rappellent des expériences d’écoutes très intimes, de celles qui vous marquent à jamais, un peu comme des tonnes de petites pilules rouges que vous ingurgitez pour vous faire accéder à un degré de compréhension supérieur du monde. Une fois avalées, vous ne pouvez plus faire marche-arrière : désormais, vous savez. Les fans de Matrix comprendront.
Petit disclaimer avant de démarrer : cette liste est purement subjective, ce sont des disques qui ont beaucoup marqué MON expérience musicale, vous ne serez peut-être pas sensibles à mes choix. D’ailleurs, si vous avez envie de discuter avec moi à ce sujet, n’hésitez surtout pas à m’envoyer un message sur les réseaux. Je vous répondrai avec plaisir.
Ceci étant dit, on peut désormais commencer l’écoute. Prenez place sur la banquette arrière d’une voiture, dans un train, dans un avion, marchez aussi loin que vous le pouvez par la pensée, restez sous la couette, sur votre canapé ou prenez un peu de distance dans un coin du jardin. Peu importe où vous êtes et ce que vous faites : mettez-vous en immersion. De toute manière, vous ne pouvez pas aller bien loin ce samedi.
1. Neon Bible, Arcade Fire (Merge, 2007)
Si je fouille dans la discographie d’Arcade Fire, je prends sans doute tout. C’est comme écouter une petite parade intérieure qui se déplace dans toutes les allées de votre esprit. Ça reste très imagé, mais en fait pas tant que ça : je suis allée voir le groupe pour une date à Paris lors de sa dernière tournée et tout de suite après le concert, ce dernier est sorti de scène en fanfare avec tous.te.s ses musicien.ne.s pour traverser la foule et faire le tour de Bercy dehors en chantant ‘Wake Up’.
Cette image est restée dans ma tête, d’abord parce que j’ai vécu un très bon moment, et surtout parce que c’est comme ça que je me représentais Arcade Fire dans mon esprit : une étincelante nostalgie, une mélancolie heureuse et pleinement assumée, quelque chose qui nous tourne irrémédiablement vers le passé, qu’ils s’agisse d’épisodes qui existent ou pas, mais qui s’accompagne toujours d’un sourire spontané. C’est un peu comme si la musique d’Arcade Fire nous poussait à nous rappeler tous ces éléments et ces personnes qui ne font plus partie de notre vie et qui ont fait de nous la personne que nous sommes aujourd’hui. Il n’y a aucune once de regret et on ne voudrait pas retourner en arrière, mais le simple fait d’y penser nous submerge d’une vague de positivité et de bienveillance.
La plupart du temps, quand il faut choisir un album du groupe, les gens se tournent vers Funeral : il faut bien l’admettre, c’est un disque magnifique. Si j’ai choisi Neon Bible, c’est surtout pour des raisons subjectives : c’est celui qui m’a fait découvrir Arcade Fire, et il est rentré dans ma vie à un moment où j’étais très seule (ça arrive souvent mais là je vous parle d’un gros pic de solitude). Je n’oublierai jamais sa dose de réconfort et sa douce nostalgie. Il me soigne encore aujourd’hui, les jours d’hiver quand je ne vais pas très bien à l’intérieur. Il m’apaise beaucoup.
Le titre à écouter : My Body is a Cage, parce que vous savez.
Acheter le vinyle : Neon Bible, Arcade Fire, 25,65€
2. New Energy, Four Tet (Text Records, 2017)
Depuis plus d’un an, je ne passe pas une journée sans écouter Four Tet. Pourquoi Four Tet et pas un.e autre artiste ? Même si certaines choses ne s’expliquent pas vraiment, il y a quand même deux critères qui rentrent en ligne de compte lorsque j’écoute un artiste : 1) son aptitude à me faire oublier tout ce qu’il y a autour de moi, souvent en utilisant des sons très atmosphériques 2) sa prise de risques, quitte à (me) dérouter.
Si le travail de Four Tet a une telle résonance en moi, c’est sans doute parce que j’ai la sensation d’être projetée au sommet d’une montagne, en plein milieu d’une jungle tropicale ou dans un marché indien alors que je fais la queue au supermarché. Sûrement parce que l’attention est sans cesse portée sur les détails et la pureté du son. L’audace et finesse sont donc deux piliers dans la musique de Four Tet, toujours accompagnée d’une somptueuse et lumineuse scénographie pendant ses sets, dont les lumières suspendues sont sans doute inspirées des installations de Yayoi Kusama.
Dans New Energy, aucune piste ne se ressemble, c’est un peu comme si l’on passait d’un tableau à un autre, les couleurs et les textures changent autant que les instruments et les ambiances, et les émotions aussi. Si vous êtes par bonheur synesthète, vous comprendrez vite que l’imagination n’est pas qu’un fantasme, mais qu’elle peut avoir des conséquences dans le monde réel. Ce disque me donne envie de faire de la musique à chaque fois que je l’écoute et me met à chaque fois d’excellente humeur, même quand ça va moins bien : il est un peu ma lueur d’espoir quand je vois tout en noir.
Le titre à écouter : You are loved. Réconfort absolu.
Update : En cette période de confinement, Four Tet a sorti un nouvel album, Sixteen Oceans, qui au fil des écoutes va sans doute surpasser celui-ci dans ma tête. Je vous invite à vous attarder sur les morceaux Romantics et Mama Teaches Sanskrit. À écouter en boucle.
Acheter le CD : New Energy, Four Tet, 13,61€
3. Vespertine, Björk (One Little Indian Records, Elektra Entertainment, 2001)
Si je devais choisir une artiste qui a marqué ma vie et ma perception de l’art en règle générale, ce serait Björk. Cet album est très hivernal, d’une douceur étincelante. J’aime beaucoup son nom, Vespertine, qui vient du latin vesper et qui signifie “du soir”. Ce terme désigne la plupart du temps les fleurs qui s’ouvrent dès la nuit tombée, comme la fleur de lune ou la belle de nuit, et j’aime ce regard poétique posé au fil de chaque album sur la nature, dans tous ses aspects. Vespertine a d’ailleurs longtemps été mon pseudo sur internet. Je ne savais encore rien de l’introversion, mais vous voyez, à l’époque déjà, je savais que j’étais… un peu différente. Et puis, j’étais souvent seule.
Au-delà du mystère et du cadre très intimiste de cet album, j’aime l’idée que ce (grand) disque soit une hommage plein d’amour à la nature qui nous entoure à laquelle on accorde en temps normal si peu d’attention. C’est comme si on l’utilisait pour livrer ses émotions les plus secrètes. Pour moi, c’est un album à écouter seul.e, pendant une période de recharge de batteries, où l’on peut s’imaginer, rien qu’en fermant les yeux, se retrouver face à des aurores boréales, des paysages ensoleillés en plein hiver et la neige qui craque sous nos pas qui fond un peu.
Le titre à écouter : Unison et Cocoon, pour les mêmes raisons que You are loved.
4. Anima, Thom Yorke (XL Recordings, 2019)
Il est déroutant, il est sombre, il est grand aussi. Anima, c’est une création sonore indissociable de son clip aux accents dystopiques à visionner sur Netflix réalisé par Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood, Phantom Thread). Je vous invite vraiment à le regarder : les images sont magnifiques, le sentiment de solitude est très fort et parfois oppressant mais c’est un bijou visuel alors on s’en accommode.
Pour ce qui est du disque en lui-même, il a été conçu par Thom Yorke, leader du groupe Radiohead. Il est le musicien que j’estime le plus aujourd’hui. Après une période où il souffre d’anxiété et par la même occasion du syndrome de la page blanche, il se lance dans Anima, une oeuvre totale qui lui sert de prétexte pour se relever.
Il appelle son ami de toujours le génial Nigel Godrich avec qui il travaille sur les projets Radiohead et Atom for Peace, écoute Flying Lotus pour se donner de l’inspiration et change ses épisodes anxieux en “couches de tissus électroniques et de bruits déconstruits”. Grandeur et dystopie au rendez-vous pour cette oeuvre cérébrale.
J’adore toute la disco solo de Thom Yorke, mais depuis la sortie de Tomorrow’s Modern Boxes, de la B.O. de Suspiria et ses très beaux concerts à Paris, je suis devenue plus fan que jamais. Ce disque, je ne l’attendais pas vraiment et il a eu un effet électrochoc sur moi. Comme si je basculais de la réalité au rêve et que je comprenais parfaitement toutes ces sonorités si différentes et pas toujours très faciles à cerner. Je suis rentrée dans son monde.
Le titre à écouter : Tous les morceaux forment une unité, je ne peux pas choisir.
Acheter le vinyle : Anima, Thom Yorke, 28,99€
5. Ágætis Byrjun, Sigur Rós (Fat Cat, 1999)
Sigur Rós et moi, c’est une grande histoire d’amour. Mes premiers souvenirs remontent à l’adolescence, à l’époque où feu Radio Blog existait. Ça devait être à cette période que j’ai découvert le groupe : en fouinant sur Radio Blog (Club), peut-être que vous connaissez aussi. C’était le début des réseaux sociaux et du streaming tel qu’on les connaît aujourd’hui. Tout le monde avait son Skyblog, on discutait encore via MSN et on téléchargeait tous nos disques avec Limewire. Je sais que c’était l’été et les grandes vacances, qu’il faisait chaud et que je restais volontairement enfermée dans ma chambre pour rêvasser, écrire et écouter de la musique. Maman, si tu passes par là, sache que je pouvais m’éterniser la nuit et que ça pouvait durer jusqu’à 4 heures du matin, tu ne l’as jamais su pour des raisons évidentes. C’était une période importante dans l’acquisition de ma culture musicale et je sais que Sigur Rós a fait partie de mes plus belles trouvailles. C’était si unique, si différent de ce que j’écoutais en temps normal. Je ne comprenais pas, mais je comprenais. Et puis, au bout de quelques écoutes, j’ai juste compris, tout simplement. Qui a dit que que l’on pouvait tout expliquer ?
Comment décrire la musique de Sigur Rós en un seul mot ? Impossible. Elle dégage tellement de choses. Mais c’est une affaire personnelle. Son écoute est une expérience à vivre seul.e, dans des circonstances qui s’y prêtent. Que ce soit en live ou bien avec son casque, quelque chose se passe, on disparaît par la pensée de la surface de la terre pour vivre une expérience cathartique. C’est peut-être la seule fois que j’ai pleuré en concert.
À mi-chemin entre classique et minimaliste, la musique de Sigur Rós possède une atmosphère très onirique, accentuée surtout par le fausset de son chanteur, Jonsi. Les morceaux, souvent longs, sont d’une douceur qui laissent très peu de monde de marbre, à un tel point que je m’interroge encore aujourd’hui : à quel point sommes-nous sensibles lorsque l’on est capable de créer ce genre de musique ?
Le titre à écouter : Starálfur, la première chanson que j’ai découverte du groupe.
6. Bad Vibes : Rarities + Extra, Shlohmo (2016)
Je m’imagine bien écouter cette réédition de Bad Vibes de Shlohmo avant la fin du monde. Il n’y aurait presque plus personne sur terre et je serais allongée sur le dos au milieu d’une piscine vide complètement recouverte de tags. Je serais sans doute triste mais en paix, un peu déçue de partir mais fatiguée, finalement remontée à bloc à l’idée de m’en aller d’ici enfin sans savoir ce qui m’attend vraiment. Tristement heureuse, mais l’inconnu vaudrait peut-être le coup, après tout ? La magie du mystère.
Cette réédition de Bad Vibes est encore un autre album à écouter seul.e, parce qu’il vous pousse à faire le vide en vous. C’est de l’électro expérimentale teintée de hip-hop qui vous incite au repli. Si vous travaillez en ce moment-même, je vous recommande de l’écouter pour vous concentrer sur ce que vous faites ou pour réfléchir à ce que serait le monde si toute notre société était amenée à disparaître d’un seul coup.
Le titre à écouter : Empty Pools, pour faire la planche dans une piscine vide.
Acheter le vinyle : Bad Vibes : Rarities + Extras, Shlohmo, 28,49€
7. Kid A, Radiohead (Parlophone, 2000)
Vous ne savez pas à quel point il est difficile pour moi de faire un choix quand je dois piocher dans la discographie de Radiohead, qui est sans doute l’un de mes groupes préférés. J’aime plus que tout l’album In Rainbows, parce que c’est là que se trouvent tous mes titres favoris. Mais il y a une ambiance tellement unique sur Kid A que j’ai fini par me tourner vers celui-ci.
Où que vous soyez, et dès le premier titre, Kid A vous transporte vers un autre monde, un univers futuriste où vous verrez des robots et des machines partout où vous oserez regarder. Il est plein de nuances différentes, on s’y sent parfois à l’étroit, au bord de l’étouffement, puis d’autres fois, on a la sensation que le monde entier est à notre portée et que l’on peut aller partout par le pouvoir de la pensée. C’est un peu l’album de l’indicible, de l’ineffable : il prouve à lui seul que certaines choses ne peuvent pas être seulement expliquées avec de simples mots.
Et puis c’est aussi l’album de la transition dans la carrière de Radiohead, qui bascule ici radicalement vers l’expérimentation musicale. Si un jour j’écris une dystopie, je m’imprégnerai de Kid A, c’est sûr.
Le titre à écouter : How To Disappear Completely, éloge de la solitude et hommage à l’homme invisible.
Acheter le vinyle : Kid A, Radiohead, 23,10€
8. Love What Survives, Mount Kimbie (Warp, 2017)
Cet album passait en boucle dans mes oreilles à une époque où je n’allais pas bien, seulement je refusais de l’admettre. Entre un travail chronophage qui m’ennuyait par-dessus tout et où l’ambiance n’était pas au beau fixe, de longues heures de métro quotidien dans la grisaille parisienne, le tout sans possibilité d’accorder du temps à ce que j’aimais le plus et d’autres choses routinières énervantes et usantes avec le temps, il fallait trouver un moyen d’occuper mon esprit à tout prix pour ne pas perdre la face. Love What Survives a été ce rempart qui me permettait de créer ma bulle pour me dérober du monde en douceur sans que personne ne soupçonne quoi que ce soit. C’est seulement maintenant que je me rends compte à quel point il a pu m’aider. Cet album est froid par ses sonorités mais étrangement réconfortant parce qu’il nous donne l’occasion de passer par la fenêtre pour se sortir de la routine et prendre un grand bol d’air frais. Les fans d’électro cotonneux et intimiste, c’est pour vous.
Le titre à écouter : SP12 Beat, immersive vers l’espace.
Acheter le vinyle : Love What Survives, Mount Kimbie, 16,77€
9. III, Moderat (Monkeytown, 2016)
Je le connais comme si je l’avais fait, tellement je l’ai écouté (et décortiqué). Après 2 albums absolument magnifiques, le supergroupe Moderat, composé d’une belle brochette de producteurs Berlinois (c’est un mix d’Apparat et de Modeselektor quand même) se dit qu’il peut faire encore mieux et nous produit… ce disque-là.
Ce disque-là. Un monstre. Il est plus sombre, plus affirmé et maîtrisé que les précédents. Sauf qu’une fois la trilogie refermée et une tournée qui a fatigué tout le monde physiquement et émotionnellement, la musique s’éteint, Moderat décide de se séparer pour vaquer à ses occupations en solo.
Et là je crois que coeur s’est brisé, mais que voulez-vous, il paraît que l’amour fait souffrir. Pour tout vous dire, j’ai rarement trouvé de plus belles alchimies que celle-ci, l’alliance parfaite entre les basses et la voix de Sascha Ring me rendent profondément nostalgique et m’aide petit à petit à rentrer dans une grosse bulle de mélancolie depuis laquelle je dois sérieusement émerger après l’écoute pour tout à fait en sortir.
J’écoute très souvent Moderat : si j’étais dans la musique, mon travail s’en inspirerait sûrement beaucoup.
Le titre à écouter : TOUS les titres.
Acheter le vinyle : III, Moderat, 18,70€
10. Apollo : Atmospheres and Soundtracks, Brian Eno (EG, 1983)
Vous connaissez l’ambient ? Ça représente environ 70% de ce que j’écoute aujourd’hui. Pour définir ce genre, c’est un peu compliqué, parce que l’ambient englobe pas mal de choses. C’est un musique « généralement électronique », me répond Wikipédia. Mais ça ne s’arrête pas là. L’ambient, c’est un genre de musique très atmosphérique, « planant », aux sonorités éthérées, un brin mystérieux, pas toujours « visible à l’oeil nu », discret souvent, parfait pour la méditation, diraient certain.e.s.
Le pionnier du genre, c’est Brian Eno, monstre sacré de la musique. Avant de faire découvrir à un public plus large le genre si complexe et inaccessible qu’est l’ambient et y marquer à jamais son empreinte, Brian Eno – que vous connaissez au moins de nom – a vécu plusieurs vies. Dans les années 70, il est tour à tour un membre du groupe Roxy Music, le producteur de plusieurs albums de Talking Heads et l’accompagnateur de David Bowie dans la création d’oeuvres majeures dans l’histoire musicale (Comme Heroes).
Et même si ce n’est pas l’artiste qui a complètement théorisé le genre, il a ouvert la voie de l’ambient. Apollo : Atmospheres and Soundtracks est un diamant à l’état brut qui fera parler l’astronaute qui sommeille en vous depuis toujours. Et même si vous n’avez pas encore l’impression d’être en apesanteur, vous pouvez quand même garder un vinyle de côté pour le ramener dans la fusée au cas où un extraterrestre passerait par-là pendant une mission sur une planète inconnue.
Le titre à écouter : An Ending (Ascent), grand classique.
Acheter le CD : Apollo, Atmospheres and Soundtracks, Brian Eno, 8,84€
11. Music Has The Right To Children, Boards of Canada (Warp, Skam, Matador, 1998)
S’il ne fallait en choisir qu’un, je pense que ce serait celui-ci, même si l’hésitation est grande tant la discographie de Boards Of Canada est riche et pleine de surprises. Boards Of Canada, c’est un duo d’Écossais d’Intelligent Dance Music, d’ambient (cf. ci-dessus) et précurseur du mouvement d’hantologie qui regardait un peu trop Sesame Street étant plus jeune, j’imagine.
Bon j’y suis allée un peu fort, on recommence. Allons-y plus simplement : prenez des instrus, beaucoup d’instrus, samplez des passages de Sesame Street et d’autres souvenirs de jeunesse pour les anglophones, ajoutez quelques bruits atmosphériques et et un son planant dans sa globalité, vous obtenez le travail de Boards Of Canada.
C’est une forme de musique hautement méditative, idéale pour travailler, réfléchir, même combler l’ennui à l’aéroport et qui apportera une dimension encore plus extraordinaire à tous les futurs voyages qui vous ferez. Si vous en doutiez encore, sachez que c’est une expérience à vivre absolument. Cet album m’accompagne tout le temps en voyage et c’est vraiment la cerise sur le gâteau à chaque fois.
Le titre à écouter : An Eagle in your mind, merci pour le voyage.
Acheter le Vinyle : Music has the right to children, Boards of Canada, 22,73€
12. Depression Cherry, Beach House (Sub Pop, 2014-2015)
J’écoute énormément de dream pop au quotidien et Beach House fait partie de ces groupes incontournables du genre à notre époque, tant il marqué le genre ces dernières années. Il n’y a pas un seul album de Beach House que je ne connaisse pas par coeur, tant je les ai tous écoutés.
C’est un petit rituel : chaque été, j’ai ma petite période Beach House, où je m’imagine vivre dans une maison en bord de mer, en train d’admirer le coucher de soleil. Il n’y a personne à l’horizon, seulement moi, la voix chaude et mélancolique de Victoria Legrand et les sons des synthé et des guitares saturées. C’est extrêmement doux, ça vous fait l’effet d’un médicament codéiné, et c’est parfois tout ce dont nous avons besoin pour être heureux.se.s, finalement.
Le titre à écouter : Space Song, à écouter dans l’espace, évidemment.
13. IV, BADBADNOTGOOD (Innovative Leisure, 2016)
Compagnon de galère du métro et du travail à l’époque où je devais mener une vie de bureau tout à fait banale et complètement aseptisée, IV de BADBADNOTGOOD m’aidait à mettre une jambe devant l’autre et à m’asseoir devant un écran pour effectuer tout le travail demandé quand au fond de moi je souhaitais me trouver à 10 000 bornes d’ici. C’est en écoutant le morceau Weight Off sur le magnifique album 99,9% de Kaytranada que j’ai voulu en savoir un peu plus sur ce groupe d’electro-jazz canadien : comment avais-je pu passer à côté de ces quatre étudiants en jazz qui ont composé pour Kendrick Lamar, Danny Brown et Tyler The Creator ?
BADBADNOTGOOD, c’est du jazz moderne, alternatif, avec ce qu’il faut de dose d’expérimental et d’énigmatique pour vous rendre assez accro pendant un bon bout de temps. Une fois que vous avez tout écouté, passez à Déjàvu, premier album solo de Matt Tavares alias Matty, un ancien du groupe, qui est aussi très bien et dans le même style.
Le titre à écouter : And that, Too. Ma musique d’ascenseur attitrée si j’en avais un, bien sûr.
14. Selected Ambient Works Volume II, Aphex Twin (Warp, 1994)
Je vous l’ai déjà dit, que j’étais une fan inconditionnelle d’électro et d’ambient ? Bref, là on rentre dans le vif du sujet avec ce chef d’oeuvre du genre. Ici, c’est du meilleur dont je vous parle, l’inénarrable et l’insaisissable Aphex Twin. Je dois vous dire la vérité : comme absolument toutes les personnes passionnées de musique, je lui voue un culte. OUI, je sais, c’est pas très original, mais c’est la vérité.
Pour les autres, Aphex Twin, c’est ce mec un peu creep qui éveille vos plus grandes angoisses avec des pochettes d’album où il affiche toujours ce sourire dérangeant. Vous savez, ce sourire, là (ne cliquez pas si vous souffrez de paralysie du sommeil). Pour certain.e.s influenceur.se.s américain.e.s, son show en dernière partie de soirée à Coachella en 2019 s’était plutôt mal passé. Une Youtubeuse avait même affirmé dans l’une de ses vidéos qu’Aphex Twin “avait violé son âme” pendant le set.
Très discret, on dit de lui que c’est un « génie », un « extrême introverti », un mec « timide et réservé », « impossible à cerner », « sincère », parfois même un « connard ». Il faut dire qu’Aphex Twin s’en fout un peu des conventions, de la pub, du marketing et de tous ces trucs finalement futiles. Il vit dans sa bulle, loin de tout et se tient surtout à l’écart de l’industrie musicale. Son travail est à son image : elle est fixée selon ses règles du jeu. À contre-courant jusqu’au bout, c’est seulement son visage déformé dans ce sourire inquiétant qui caractérise son identité visuelle.
L’album que j’ai choisi est une autre facette de l’identité musicale d’Aphex Twin : la pureté du son, qui seraient le résultats de “rêves lucides” selon l’intéressé. Je ne suis pas étonnée qu’il en fasse et c’est une raison valable pour que je réussisse à en faire à mon tour un jour. Personne ne peut rester indemne devant ce disque. C’est sans doute l’un des plus beaux albums d’ambient qui existe à mes yeux et une claque dont je n’arriverai jamais à me remettre.
Le titre à écouter : #20. L’une des plus belles choses jamais écoutées.
15. Talkie Walkie, Air (Parlophone, 2004)
Cet album a 15 ans, mais à vrai dire, je ne serais pas étonnée qu’il soit en fait sorti hier tant il reste intemporel et actuel. Léger et pétillant, Talkie Walkie possède ce petit quelque chose en plus d’inexplicable et d’imperceptible à la première écoute, mais avant même de le terminer, le mal est fait : vous avez eu un coup de foudre. C’est arrivé. Pourquoi ? Vous ne le savez pas vraiment, vous ne pouvez et ne voulez pas le définir.
Cette ode à la rêverie, véritable incarnation de l’effortless à la française accompagne chacun de mes voyages, sans exceptions. J’ai assez fantasmé à l’idée de me retrouver un jour seule à Kyoto et reproduit ce scénario au moins 100 fois dans ma tête pour vous confirmer être assez préparée au grand départ.
Et quand je dis qu’il accompagne tous mes voyages, j’inclus aussi mes vacances intérieures, le temps d’un week-end voire plus où je sais que je serai seule et en paix, en retrait du monde qui m’attend (ou non, peu importe).
Le titre à écouter : Alone in Kyoto. À quelques heures de mon vol annulé.
Acheter le Vinyle : Talkie Walkie, Air, 21,01€
16. The Night Land, Talaboman (2017)
J’ai pourtant essayé d’hétérogénéiser ma sélection, mais rien n’y fait : je reviens toujours vers l’instrumental, parce qu’il me permet inlassablement de réfléchir au lieu de me concentrer sur une voix ou des paroles, par exemple, ce qui offre moins de possibilités de lâcher prise à mon sens.
The Night Land de Talaboman fait partie de ces albums que l’on écoute de nuit, quand les lumières sont éteintes et qu’il pleut dehors ou bien lors d’un night trip en voiture pour une expérience pleinement immersive et solitaire dans le fond de notre esprit. The Night Land, c’est des passages obscurs voire carrément angoissants qui laissent place à des temps d’accalmie doux et ouatés, comme après un orage. Une cohérence qui rend l’expérience encore plus captivante.
Le titre à écouter : Brutal-Chugga-Chugga, pour votre promenade intérieure journalière.
17. Souvlaki, Slowdive (1994, Sony Music)
Je suis née dans les années 90 et Souvlaki est sorti en 1994, à l’époque où le shoegaze faisait ses preuves et que tous les fans de musique indé se faisaient un plaisir de découvrir ce genre de musique très déstructuré avec des guitares saturées et des voix aériennes.
Quand Souvlaki est sorti, j’étais peut-être déjà née ou au contraire pas du tout, on n’en sait rien, vous n’en savez rien. Dans tous les cas, je ne devrais avoir aucun souvenir de cette époque. Pourtant, j’ai le sentiment de me souvenir de tout, d’avoir vraiment vécu les années 90, d’avoir porté des t-shirts en-dessous de mes robes avec des Dr. Martens, d’avoir trop épilé mes sourcils, d’avoir teint mes cheveux en roux et d’être apparue dans une vidéo partagée quelques années plus tard par David Dean Burkhart comme celle-ci avec cette chanson de Cemeteries.
Le titre à écouter : Est-ce qu’il faut vraiment choisir ?
Acheter le Vinyle : Souvlaki, Slowdive, 21,99€
18. Veckatimest, Grizzly Bear (Warp Record, 2009)
Sans doute l’album à emporter avec soi pour un voyage en voiture qui s’éternise. Grizzly Bear, c’est la rêverie à l’état pur, le regard qui se perd dans les paysages qui vont si vite qu’on n’a pas le temps de réaliser ce que l’on voit. C’est le groupe de rock indé lyrique par excellence, qui allie parfaitement les guitares avec toujours plus de choeurs et de passages instrumentaux uniques.
On se sent souvent apaisé.e, on part parfois totalement ailleurs sans jamais pourtant quitter la banquette arrière et d’autres fois, notre coeur explose. Veckatimest, c’est un mélange de tout ça, et une bonne excuse pour ne plus parler et être solitaires ensemble dans une voiture.