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Lettre à l’ado que j’ai été

Je me suis lancée dans l’exercice introspectif et ô combien compliqué de m’écrire à moi-même. Enfin, à mon moi du passé, à l’ado que j’ai été. Étrange ? Oui. Nécessaire ? Oui, et bien au-delà de tout ce que j’imaginais. La tâche n’a pas été facile, mais que voulez-vous, j’aime quand les choses sont un brin compliquées dans ma vie.

Il y a deux ans, l’autrice Jack Parker, connue aussi sous son vrai nom Taous Merakchi, a sorti un recueil de 28 textes, Lettres à l’ado que j’ai été.

Dans ce livre, il est donc possible, comme son nom l’indique, de lire 28 lettres de personnalités qui s’adressent directement à l’ado qu’elles ont un jour été. Certaines nous font rire, d’autres nous tirent les larmes. Qu’importe l’émotion que vous ressentirez en lisant ces textes, elles seront au rendez-vous.

D’autres personnes ont plus tard relevé avec brio ce défi un peu partout sur internet. L’idée de me parler à moi-même me plaisait beaucoup, ça faisait des mois qu’elle était dans un coin de ma tête, mais je redoutais un peu de le faire, par crainte de réveiller certaines choses douloureuses qui vivaient encore tout au fond de moi.

Ce n’est que la semaine dernière que j’ai eu à mon tour envie d’écrire une lettre à la jeune Liv de 15, 16 ans qui a un jour existé. Cet exercice introspectif a été plus difficile que prévu. Il a été éprouvant, mais aussi libérateur.

Je vous ai également proposé d’écrire votre lettre à l’ado que vous avez été. Ces lettres, je les posterai dans un autre article dédié et sur les réseaux sociaux au fur et à mesure, si vous le souhaitez. En attendant, voici la mienne, pour commencer.

À toi, O.

On ne se connaît pas, et nous n’avons aucune chance de nous croiser.

Certaines nuits, pourtant, j’apparais dans tes songes comme un murmure venu de l’inconscient. Et dans tes carnets noircis par tes multiples interrogations, je te tends ma main entre deux rêves éveillés. Je suis une ombre, une histoire avec des points de suspension, mais tu n’as aucun moyen de me connaître et de savoir qui je suis, où j’en suis, où je vis.

Moi, de là où je t’écris, je sais parfaitement qui tu es. Dans mon esprit, tu es un petit morceau de mon temps passé sur cette terre, une ébauche de moi-même, noyée par des couches et des couches d’heureuses et de terrifiantes coïncidences, et tant d’autres bouleversements dont tu connaîtras les formes et les contours une fois que tu grandiras. Dans mon coeur, il y a une place dédiée à ton souvenir, comme c’est le cas pour tous ces autres vieux objets retrouvés au fond d’un tiroir, dans une chambre d’ado, une dizaine d’années plus tard. Tu es une curieuse apparition. 

D’où je te parle, à l’instant où tu vis quelque part, à supposer que chaque fragment de temps puisse exister pour toujours, tu ne m’entends pas, puisque ton heure est passée. Tu ne peux pas le savoir, mais tu seras un jour à ma place, et tu comprendras à quel point tu as été importante dans cette aventure qui est la construction de toi, de moi, de nous deux. Qu’importent les obstacles temporels qui nous séparent, j’aime croire qu’aujourd’hui, ce soir, tu tiens cette lettre entre tes mains tremblantes et que tu me lis. 

J’aime croire que tu puisses entendre ces mots quelque part, de là où tu vis encore, entre mes souvenirs et un espace-temps qui existe peut-être, tu le sais, à force de lire chaque bouquin de science-fiction qui te tombe sous la main. Tout est possible quand on laisse l’imagination s’installer en nous et laisser pousser ses racines pour mieux supporter la fadeur du réel. Et tu es douée pour ça. Personne ne peut t’enlever ce don que tu as d’entrevoir toute la beauté du monde, malgré cette tristesse qui vit et qui résiste en toi, malgré toute la peur qui se lit si souvent dans tes yeux.

Et non, je ne te dirai pas ce que tu dois faire et encore moins ce qui t’arrivera plus tard, même si je sais que tu en meurs d’envie :  tu le sauras bien vite par toi-même. Tout te dévoiler ne servirait à rien, et je veux que tu puisses te réjouir des heureux hasards qui viendront un jour à toi, sans rien calculer. Si j’apparais ici, suspendue entre le présent et l’avenir dans cette antichambre imagée, c’est parce que je voudrais enfin te laisser la place qui te revient, t’accorder cette justice tant méritée, te rendre ce qui t’appartient et mettre des majuscules à ton nom. 

O., je suis désolée pour tout. Tu n’étais jusqu’à présent qu’un fantôme que j’ai longtemps abandonné et emprisonné par pudeur et par honte, car j’ai si souvent cru que tes appels à l’aide n’étaient pas légitimes. Je voudrais m’excuser d’avoir tant d’années muselé ta souffrance, et fait comme si elle n’était pas importante, alors que oui, évidemment qu’elle l’était. 

Tu n’es pas obligée de sécher tes larmes, elles disparaîtront toutes seules. Il n’y a rien à changer en toi, la métamorphose s’opèrera d’elle-même. Ne t’en veux pas de ne pas apprendre de tes erreurs, car quelquefois, il faut échouer plusieurs fois pour comprendre ce qui se passe tout à l’intérieur de soi. Cette culpabilité que tu portes sans cesse comme un poids sur le dos, elle n’a pas lieu d’exister. Mais comment faire pour que tu le réalises enfin ?

O., je voudrais que tu saches que quelqu’un pense encore à toi et songe de temps en temps, entre deux rêveries, à ce que tu étais et à la façon dont tu te nourrissais de toutes ces informations qui rentraient en toi, à tous ces éléments du quotidien qui te transperçaient, sans même que tu t’en rendes compte. Tu vivais et tu vis toujours tout intensément. C’est ta façon d’être toi.

Toi qui as été si souvent l’heureuse gardienne d’une chambre, les bras posés contre les rebords de cette fenêtre, à attendre de meilleurs jours. Toi qui as tant de fois été l’auditrice passionnée d’un disque, puis deux, puis mille autres, ces disques qui vont, sans que tu le saches, sauver ta vie. Toi qui as été l’éternelle partenaire d’une solitude parfois trop grande pour toi et ton jeune âge, si terrifiante, mais si réconfortante certains soirs, pourtant. 

Toi, jeune lectrice émerveillée par la beauté de ces mots imprimés sur ces feuilles blanches, qui n’ont eu qu’une résonance partielle dans ta tête de presque adulte, et dont ces quelques vers de vieux poètes français, inscrits religieusement dans ton petit carnet après les cours, te laissaient imaginer tout ce que tu pouvais vivre, être et peut-être écrire un jour à ton tour. 

À toi, et ta tristesse, à toi et ton immense et infatigable colère, dont je ressens encore parfois les secousses qui grondent en moi. Tu ne sais pas encore dompter ce volcan qui t’habite. Tu es prête à t’en aller, prête à te soustraire de ce monde, mais quelque chose de si puissant en toi vit, se bat et t’empêche d’agir. Ils disent que tu rêves trop. Mais ces rêves sont ces merveilleux présents qui t’aident à te maintenir en vie. 

Qu’aurais-tu fait sans eux ? Serais-tu encore là ? Serais-je en train de t’écrire à présent et de te faire revivre comme un être de papier qui vit dans l’imaginaire d’un lecteur, d’une lectrice ? Serions-nous toutes les deux vivantes ? À ces questions, je n’ai pas de réponses à t’apporter, car tu sais déjà tout au fond de toi.

À toi qui feras partie de moi jusqu’à la fin. Tu vis encore et toujours sur ma planète, malgré tous ces impacts et ces expériences que tu as pu affronter avec le temps. Tes peurs ont été et sont encore parfois les miennes. 

Lorsque je sors de ma coquille, je crois apercevoir ta silhouette me fixer au loin, et tes yeux affolés, qui m’interrogent : que faire, maintenant ? Quand je regarde mon reflet dans ce miroir, je sais que tu es là quelque part, dans l’air, comme un fantôme qui ressurgit du passé quand les choses se gâtent. 

Lorsque je subis des attaques, je t’entends pleurer parfois, dans un écho brisé, très loin, mais si près à la fois. Et je te vois au fond de mes yeux, comme si tu désirais ardemment me délivrer un message, lequel, je ne le sais pas, car il n’est jamais le même.

À toi, O. Je voudrais te dire que tu survivras et que toutes ces belles choses qui t’émerveillent seront encore plus belles aujourd’hui. Tu ne dois jamais t’arrêter d’escalader cette montagne : même si le sommet est encore à des années-lumière de toi et que je suis moi-même très loin d’en voir le bout, je t’assure que tu pourras t’arrêter quelquefois pour te réchauffer et contempler tout ce chemin parcouru de tes propres yeux. Ces mots, tu ne les entendras pas, car tu es aussi têtue que peut l’être celle que je suis lorsque je perds tout discernement. Je ne suis toujours pas parfaite, si jamais tu te poses la question. Rien n’est parfait, mais à quoi bon te le dire ? Tu ne m’écouteras pas.

Je voudrais que tu saches que toutes ces fissures que tu caches honteusement, tu les utiliseras un jour pour faire ressortir le meilleur de toi-même. Elles sont ta plus grande force, elles te constituent. Elles aideront les autres, elles t’aideront toi-même, elles te donneront les clés qui te permettront d’écouter le bruit de ce monde et d’en retenir l’essentiel.

Je voudrais aussi te dire que ces autres personnes que tu voudrais tant être ne sont pas celles que tu crois et que tu n’es et ne seras bien qu’ici, dans ta peau, sous cette forme-là, dans ce corps. Tu es à ta place. Tu es là où il faut être. Tu es O., et ça n’a pas de prix.

Enfin, même si nous aurions pu grandir autrement et nous éviter tout ce mal avec un autre destin, je voudrais te remercier d’avoir été toi et de m’avoir aidée à grandir et à devenir celle qui t’écris aujourd’hui. Je serais incapable de vivre tout ce que tu traverses dans ton présent à toi. Tu mérites d’être heureuse.

Tu es et resteras l’ado que j’ai été. Je te rends ta liberté, celle d’exister éternellement à travers moi. Ton prénom écrit en majuscules.

O.